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Taux de rendement négatifs.

Ce qui est remarquable avec ce phénomène des taux d’intérêt négatifs, est qu’il existe depuis plusieurs années et que les média en font un de leurs sujets principaux que récemment.

Il est vrai que ce phénomène dure et que les échéances concernées sont de plus en plus lointaines. En France, si l’on regarde les taux indicatifs des Bons du Trésor et des OAT[1] publiés par la Banque de France, on constate, qu’alors que le taux d’intérêt à 2 ans était déjà négatif en janvier 2015, ce fut le cas pour celui de l’échéance 5 ans qu’en janvier 2019, et pour celui de l’échéance 10 ans en juin 2019.

L’adjudication du 04 juillet 2019 a fait couler beaucoup d’encre car la France avait levé près de 5 milliards sous forme d’une OAT 10 ans à un taux négatif de 0,13%. L’OAT en question est à échéance du 25/05/2029, procure un coupon de 0,50% et à été émise à un cours moyen de 106,23%, donc au-dessus du pair (100%). Le -0,13% représente le taux de rendement.

Le fonctionnement d’une OAT

Si vous aviez voulu acheter cette OAT, par exemple pour un volume de 100 obligations, comme le nominal de l’OAT est de 1€, vous auriez payé 106,23€. Chaque année vous recevriez le coupon de 0,50%, non pas sur 106, 23€, mais sur 100€ d’après la formule :

0,50% * 100 * Nombre de jours exact/365  0,50€

Et ceci pendant 10 ans, si vous ne revendez pas l’obligation entre temps.

Et le jour de l’échéance, en plus du coupon vous recevez le nominal de vos obligations, donc 100€.

Les flux en euros de vos OAT auraient été après un investissement 106,23€ en année 0 :

Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Année 8 Année 9 Année 10
0,50 0,50 0,50 0,50 0,50 0,50 0,50 0,50 0,5 100,50

 

Il est facile de constater que, grossièrement, l’investissement de 106,23€ n’est pas récupéré puisque la somme des flux est de 105€. Ce qui implique que le taux de rendement de l’obligation est négatif.

J’ai spécifié « grossièrement » car il faut bien sûr actualiser ces flux futurs à aujourd’hui à l’aide de taux zéro-coupon pour obtenir le taux de rendement exact. Et comme ceux-ci sont négatifs sur toute la courbe des taux, les flux actualisés sont supérieurs aux flux non actualisés[2].

Le taux de rendement est en fait le taux d’actualisation, qui, appliqué à tous les flux de l’obligation, permet l’égalisation avec son prix d’émission.

Pour l’OAT émise le 04 juillet 2019, l’Agence France Trésor l’a calculé et il est de -0,13%. Raison pour laquelle, l’on dit que la France emprunte à 10 ans à taux négatif.

En effet, si l’on regarde les adjudications antérieures, l’on constate que des taux de rendement négatifs ont déjà été encore plus faibles (inférieurs à -0,13%) mais à de plus proches échéances.

Rien qu’entre mai et juin 2019, les taux de rendement des OAT 25/02/2022 0,00% et 25/03/2025 0,00%, sont passés respectivement de -0,52% à -0,65%, et de -0,19% à -0,38%, alors qu’il n’y a qu’un mois d’écart entre les deux adjudications. On dirait que la tendance à la baisse des taux se poursuive et ne soit pas terminée …

En revanche, les taux de rendement des OAT indexées sur l’inflation ont des taux de rendement très faibles. L’OAT€i 25/07/2047 0,10% a été émise avec un taux de rendement négatif de 0,43%. Les investisseurs comptent sur une hausse régulière de l’inflation qui compensera ce rendement faible. Avec une échéance de 28 ans, cette stratégie ne semble pas dépourvue d’intérêt.

Pourquoi des investisseurs achètent-il des obligations à taux de rendement négatif ?

Une première explication est que « payer pour placer » ses fonds est similaire au paiement d’une prime d’assurance pour garantir le remboursement du capital (déduction faite de la prime d’assurance). L’importance du déficit public français, souvent décrié, ne semble donc pas effrayer les investisseurs qui sont prêts à payer pour être assurés de récupérer leur capital. D’ailleurs de plus en plus d’économistes commencent, enfin, à publier des articles qui vont dans le sens de l’amoindrissement de l’importance à accorder à nos dettes publiques[3]. D’autant plus, que la dette, à ce prix, ne coute pas grand-chose, voire rapporte des intérêts, ou en tout cas de la trésorerie, lors d’émissions à des coupons supérieurs au taux du marché.

Une seconde explication serait que les investisseurs anticipent la poursuite de la baisse des taux. La valeur d’une obligation est égale à la valeur actualisée de ses flux futurs. Par conséquent, en cas de baisse des taux, la valeur des obligations augmente. Certains gestionnaires de fonds, plutôt que d’effectuer leurs choix d’investissement en fonction du taux de rendement, les font en fonction de la valeur de revente potentielle de leurs titres. Par les mécanismes de marché traditionnels, ce comportement appuie et appuiera la thèse de la poursuite de la baisse des taux.

Pourquoi des taux négatifs ?

Un taux d’intérêt est le prix de l’argent. Donc, comme tout autre produit ou bien ou service, son prix baisse en cas de pléthore d’offre.

Des milliers de milliards d’Euros ont été mis sur le marché par la Banque Centrale Européenne (BCE), à partir de mars 2015 jusqu’en décembre 2018, et ceci dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing ou QE). Elle ne fut d’ailleurs pas la seule banque centrale à effectuer des rachats massifs de dette publique : la Federal Reserve avait débuté cette politique bien avant et y a mis fin en 2014. D’autres banques centrales comme la Bank Of Japan (BOJ) ou la Bank Of England (BOE) ont pratiqué également ce type de politique d’assouplissement.

Ces fonds mis sur le marché ont dû être réinvestis et, compte tenu de la hausse exceptionnelle des bourses, notamment celle de New-York, ainsi que la baisse des taux spectaculaire, il semble qu’ils n’aient pas quitté les marchés financiers.

L’offre de fonds étant largement supérieure à la demande, les taux ont entamé rapidement une baisse régulière, pour ensuite atteindre des niveaux négatifs.

A ce phénomène, il faut rajouter que les anticipations d’inflation sont inexistantes, donc ne participent pas à une hausse des taux, mais à une baisse. D’ailleurs, les Swaps Inflation 5 ans dans 5 ans (une référence du marché en termes d’anticipation d’inflation) sont au plus bas historique depuis 2016[4].

Le taux d’autofinancement des entreprises croit régulièrement depuis 2008, ce qui diminue d’autant leurs besoins de financement par emprunt, et surtout qui augmente leur capacité d’épargne, donc de placement sur les marchés financiers : phénomène qui joue de nouveau en faveur d’une baisse des taux.

Pour obtenir des taux de rendement positifs, les investisseurs ont dû rallonger les échéances de leurs placements, opérations qui, automatiquement, pèsent sur les taux à échéance plus éloignée et contribue à la poursuite d’aplatissement de la courbe de taux.

Conclusion

Face à cette situation, il est à craindre que certains investisseurs frustrés, se mettent à la recherche de produits à rendement positif en investissant dans des produits structurés risqués. Et puis, attendons de connaitre la politique monétaire que Christine Lagarde comptera mener au sein de la BCE …

I.Klein

À consulter: 

Negative yields force investors to plunge into riskier debt. 

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[1] Obligation Assimilable du Trésor

[2] Un flux F est actualisé selon la formule suivante : F / (1+taux d’actualisation), donc si le taux est négatif le flux F est divisé par un chiffre inférieur à 1

[3] Olivier Blanchard : « Être obnubilé par la réduction de la dette est une erreur ». Le Point Références Mai Juin Juillet 2019

[4] Bulletin mensuel de l'AFT N°349 juin 2019