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Quand on veut enterrer un dossier ou quand on veut faire croire qu’on s’attache à résoudre un problème, on crée une commission, c’est une tradition bien française. C’est précisément ce que vient de faire le gouvernement à propos de l’endettement public. Sa composition est révélatrice : elle réunira des anciens ministres qui ont contribué à l’accroître quand ils étaient au gouvernement et des économistes qui n’ont cessé de dénoncer le phénomène et de faire des prévisions alarmistes qui se sont révélées fausses, qu’il s’agisse du coût de la dette pour les finances publiques, de la solvabilité des agents économiques endettés ou de la capacité de l’Etat à emprunter.

La critique de l’endettement public a atteint son paroxysme au moment de la crise de l’euro et la dénonciation des Etats supposés être trop dépensiers. La Grèce était visée mais aussi les pays du sud de l’Europe, ce qui a failli provoquer l’éclatement de la zone euro. Pour cette raison, la sortie de la zone euro a été un thème central de l’élection présidentielle de 2017. Qui oserait prétendre aujourd’hui que l’euro n’est pas un facteur essentiel permettant d’éviter qu’à la crise sanitaire s’ajoute une crise financière ? Mais entre-temps, la priorité, c’était qu’il fallait réduire à tout prix l’endettement public. Le revirement actuel est sans précédent puisqu’il y a unanimité pour affirmer que son augmentation est la seule manière d’atténuer les conséquences économiques de l’épidémie. Le regard que l’on porte sur la dette publique et l’incohérence des positions successives prises tant par les économistes que par les responsables politiques découlent de trois erreurs.

La première provient des instruments de mesure. La dette des Etats est rapportée à leur PIB. Or il n’est jamais convainquant de comparer un flux, la production annuelle de biens et de services, à un stock, à savoir le montant total de la dette. Ce qui compte, c’est la capacité théorique à rembourser. Or celle-ci dépend essentiellement de la richesse accumulée par ceux qui sont supposés un jour la rembourser, même si ce concept est, on le verra théorique. Or ceci a été complètement ignoré par les autorités européennes lorsqu’elles se sont mis d’accord pour élaborer le pacte de stabilité il y a maintenant plus de vingt ans. Ce qui aurait dû être retenu, c’est la comparaison entre le taux d’épargne financière des ménages et le déficit public une année donnée. On aurait alors conclu que la situation de la France ne présente aucun risque puisque le pays accumulait les ressources qui lui permettraient de rembourser si le besoin s’en faisait sentir. La facilité avec laquelle les Etats ont pu financer la hausse massive de leur endettement rendue nécessaire par l’épidémie, tient en partie à cela.

L’action en Europe de la Banque Centrale Européenne et des institutions analogues dans les autres pays touchés y a aussi contribué. En souscrivant à des émissions de dette publique, elles ont facilité leur placement tout en maintenant des taux très bas. Cette action est de plus en plus critiquée mais, là aussi, sans raison. Dans le passé, la théorie économique avait expliqué qu’une hausse trop forte de la masse monétaire découlant de l’action d’une banque centrale provoquerait une crise inflationniste comme ce qui avait été observé en Allemagne dans les années vingt. Mais le monde d’aujourd’hui est différent. La pression exercée sur tous les prix par la concurrence et par l’innovation exclut tout retour de l’inflation. Force est de constater que les injections massives de monnaie depuis le début de l’épidémie n’ont provoqué aucune dérive inflationniste. Sur un an l’inflation en France, n’a été que de 0,2%.

La deuxième erreur concerne les conséquences supposées sur les générations futures. On entend souvent dire que nous reportons sur nos enfants le coût de nos erreurs ou dans le cas présent, de la crise épidémique. Mais c’est faux. Les générations futures hériteront aussi de la richesse accumulée par leurs parents et elle sera largement suffisante pour rembourser cette dette, à supposer en plus qu’ils aient à la rembourser et non à la reporter à leur tour sur leurs propres enfants. Dans le passé, le bon moyen pour s’affranchir de cette contrainte, c’était l’inflation et l’épargne en fut la première victime dans les années 60 et 70. Cette épargne est aujourd’hui protégée et elle pourra donc être transmise.

La troisième erreur concerne la charge future de la dette. Tous les projets de lois de finances en France ces dernières années ont affirmé que cette charge allait augmenter lourdement et constituer une menace. Ces prévisions se sont révélées fausses. Malgré la très forte hausse de l’endettement public cette année, la charge l’année prochaine continuera de se réduire comme elle le fait depuis cinq ans. La raison est double. Cette charge est la conséquence des taux d’intérêt passés. On paye encore aujourd’hui des taux de 4% ou même plus sur des obligations émises par l’Etat il y a dix ans. Mais chaque année, ces obligations sont amorties et remplacées par de nouveaux titres portant une charge beaucoup plus faible. Et si, les taux devaient remonter, c’est que la politique économique et monétaire aurait permis la reprise d’une forte croissance, elle-même capable de générer des rentrées fiscales permettant de couvrir facilement la hausse supposée de cette charge nouvelle. La France a levé sur les marchés plus de 23 milliards au mois de novembre avec un taux à 10 ans fluctuant peu autour de -0,30%. Mieux, l’écart avec la vertueuse Allemagne n’a jamais été aussi faible, 25 points de base, ce qui montre bien la confiance des investisseurs.

Enfin, il faut  admettre le fait que les Etats sont différents des agents économiques privés. La confusion vient de responsables politiques qui font semblant d’ignorer cette réalité et qui cherchent ainsi à faire peur à leurs concitoyens. Leurs motivations sont bien connues et purement idéologiques. Ils considèrent que ce n’est pas la dette qui est le problème mais la dépense et le rôle de l’Etat qu’il convient de réduire dans l’économie. Ils sont silencieux sur ce point en ce moment parce qu’ils sont bien obligés d’admettre que la seule façon d’atténuer les conséquences de l’épidémie sur l’économie est l’intervention de l’Etat mais ils ne renoncent pas à leurs convictions.

La différence entre un emprunteur privé et l’Etat, c’est que ce dernier peut presque éternellement, l’histoire l’a montré, lever des capitaux pour financer ses dépenses et rembourser les emprunts passés. La seule limite, c’est la capacité d’épargne intérieure et la confiance des marchés internationaux, au cas où il serait nécessaire de faire appel à eux. C’est cette perte de confiance qui a, par exemple, provoqué de nombreuses crises chez les pays émergents, en Asie il y a 25 ans et périodiquement en Amérique latine. Mais la question ne se pose pas ici car le niveau d’épargne en France et en Europe est très élevé et la balance des paiements de la zone euro largement excédentaire. Et si une part de la dette publique française est détenue par des investisseurs étrangers, c’est d’abord un signe de confiance et aussi pour des raisons techniques qui font que la cotation des obligations se fait souvent au Luxembourg, même si elles sont détenues en fin de compte par des épargnants  français.

Au total, ce n’est pas le niveau de la dette qui compte mais ce que l’Etat fait avec les capitaux empruntés. Les résultats du plan de relance en France sont donc attendus avec beaucoup d’intérêt.

LE BLOG D’ALAIN BOUBLIL.

A.Boublil