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La charge de la dette négociable de l’État français : paradoxes et subtilités.

La charge de la dette budgétaire française représente les intérêts en Euros versés aux investisseurs, en contrepartie de leurs achats d’obligations et de bons du Trésor émis par l’État.

La dette de l’État français s’élevait à 1 751 milliards d’Euros à fin août 2018 (Bulletin mensuel de l’AFT – sept 2018) et la dernière prévision de la charge budgétaire nette à fin septembre 2018 est de 41,70 milliards d’Euros (AFT Principaux chiffres de la charge de la dette).

A aujourd’hui, le solde primaire est quasiment égal à la somme des intérêts de la dette.

L’État se finance donc par emprunts, en émettant principalement 4 titres financiers différents :

  • Des Obligations Assimilables du Trésor (OAT).
  • Des Obligations Assimilables du Trésor Indexées sur l’inflation française (OATi) et d’autres indexées sur l’inflation de la zone Euro (OATi).
  • Des Bons du Trésor (BTF)1.

Pour gérer le risque de taux d’intérêt de sa dette, qui est par nature majoritairement à taux fixe, l’AFT a effectué des Swaps de taux d’intérêt.

Rappels pour les  “non-initiés”.

Le fonctionnement des OAT.

A chaque OAT, sont associés un coupon (intérêts reçus annuellement par l’investisseur) et une échéance. Une OAT a une échéance à moyen ou long terme. L’échéance la plus éloignée est de 50 ans. Le jour de l’échéance de l’OAT, l’investisseur reçoit 100% du nominal investi.

Le fonctionnement des OATi et OATi€.

Pour les OAT indexées, un coupon et une échéance sont également associés. La différence avec une OAT classique est que le nominal d’une OATi ou OATi€ évolue en fonction de l’évolution des indices des prix respectifs. Le coupon s’applique donc à un nominal variable et le remboursement à l’échéance dépend également de l’évolution de l’indice des prix2. Près de 67% de l’encours des obligations indexées sont des OATi€.

Le fonctionnement des BTF.

Les échéances des différents BTF se comptent en semaines (les plus classiques sont ceux à 13, 26 et 52 semaines). Le taux d’intérêt appliqué est précompté, c’est-à-dire que l’investisseur reçoit son coupon dès l’achat du BTF, et non à l’échéance.

Le fonctionnement d’un swap de taux d’intérêt.

Un swap de taux d’intérêt (Interest Rate Swap : IRS) n’implique aucun mouvement de capital à la mise en place de l’opération. Il est, bien sûr, basé sur un nominal mais n’ont lieu que des échanges de différentiels d’intérêts à des dates précises.  Un IRS permet de modifier une dette à taux variable en taux fixe. Dans ce cas, le détenteur de la dette effectue un swap dans le sens : il paye le taux fixe et reçoit le taux variable ; de cette façon il annule les paiements à taux fixe de sa dette et les remplace par un taux variable.

Inversement, un IRS permet de transformer une dette à taux fixe en taux variable. Dans ce cas, le sens du swap sera : receveur du taux fixe et payeur du taux variable.

Les principaux chiffres de la charge de la dette publiés par l’AFT en septembre 2018 sont :

En milliards d’Euros.

Année Charge budgétaire nette Intérêts des OAT Charge d’indexation des OAT Intérêts des BTF Dettes reprises + Trésorerie
2017 Exécution 41,70 39,09 2,31 –          0,86 1,13
2018 Prévision 41,70 37,80 3,35 –          0,68 1,16
2019 Prévision 42,06 37,29 3,47 0,24 1,04

La charge budgétaire nette.

La charge budgétaire nette représente la somme des intérêts payés et reçus sur les différents titres négociables à laquelle est rajouté le solde de la trésorerie de l’État.

Il s’agit donc ici uniquement de la dette qui finance le déficit budgétaire, celui de l’État, et non le déficit public qui inclut plus d’organisations publiques.

Les intérêts des OAT.

Les taux moyens pondérés des coupons des OAT sur chaque échéance sont :

Année Taux moyen pondéré Année Taux moyen pondéré Année Taux moyen pondéré
2019 2,98% 2028 0,75% 2039 1,75%
2020 1,59% 2029 5,50% 2041 4,50%
2021 2,08% 2030 2,50% 2045 3,25%
2022 2,11% 2031 1,50% 2048 2,00%
2023 2,94% 2032 5,75% 2055 4,00%
2024 1,76% 2034 1,25% 2060 4,00%
2025 2,38% 2035 4,75% 2066 1,75%
2026 1,52% 2036 1,25%
2027 1,95% 2038 4,00%
  • Le taux moyen pondéré de toute la dette est 2,44%.

Ceci signifie, qu’en moyenne, à aujourd’hui, l’État paye un coupon de 2,44% chaque année aux investisseurs qui ont acheté des OAT.

Ceci signifie également, qu’un renouvellement d’émission permettra de baisser le niveau de la charge de la dette si le coupon de la nouvelle OAT est inférieur à 2,44%, toutes choses étant égales par ailleurs.

Par conséquent, compte tenu de la courbe des taux d’intérêt actuelle, la charge de la dette doit logiquement diminuer, si le besoin d’emprunt n’augmente pas. En effet, ce n’est qu’à partir de l’échéance 5 ans que les taux des emprunts de l’État français repassent la barre des 0% pour être de nouveau positifs. Le taux à 50 ans n’atteint même pas les 2,00%.

D’ailleurs, nous pouvons constater que la charge des OAT prévue pour 2019 est en légère baisse de 0,49 milliards d’Euros, par rapport à 2018.

Or, en 2018, le taux moyen des OAT venant à échéance était de 2,48% pour un montant de 106 milliards d’Euros. En supposant que tous les renouvellements soient faits à 50 ans à 1,86%, donc au taux le plus haut de la courbe, le gain serait donc de 0,62%. Appliqué au montant de 106 milliards, nous obtenons une baisse du montant des intérêts de 0,66 milliards d’Euros.

Malgré cette hypothèse farfelue, la baisse de la charge de la dette devrait être supérieure à celle énoncée par l’AFT. Et si le taux d’emprunt moyen des nouvelles OAT est de 1,00%, alors l’économie de charges d’intérêt serait de 1,57 milliards d’Euros.

Une explication serait peut-être la contrainte de « l’assimilation » : L’Etat serait-il « prisonnier » de l’assimilation » ?

Pour, soi-disant, rendre le marché des OAT plus liquide, l’AFT émet des lignes d’obligations « assimilables » à d’autres lignes déjà émises en termes de coupon et d’échéance. Le résultat est que très souvent des émissions sont faites à un coupon bien supérieur au taux du marché.

En 2017, plus de 31 milliards d’OAT3 ont été émises avec un coupon supérieur au prix du marché4. A fin octobre 2018, l’encours de ce type d’obligations dépasse les 53 milliards. Si l’on reprend les taux d’intérêt passés qui correspondent aux dates d’adjudications, le surplus d’intérêt, rien que pour l’année 2018 dépasse 200 millions d’Euros.

Une autre explication de cette gestion, serait que l’État aurait besoin de trésorerie. En effet, lorsque le coupon d’une obligation est égal au prix du marché, son prix d’émission est égal à environ 100%. Or, si le coupon est supérieur au taux du marché, alors, pour compenser l’avantage sur les flux futurs, l’investisseur doit acheter l’obligation à un prix supérieur à 100%. Plus le coupon sera élevé, plus le prix de vente de l’OAT par l’État sera élevé.

En aout 2018, l’OAT 5,50% 25/04/2029 a été émise à un prix de 148,84% pour un montant de 3 milliards d’Euros. Le gain de trésorerie est donc de 1,46 milliards d’Euros. Sur toute l’année 2018, à fin août, la trésorerie engrangée avoisine les 7 milliards d’Euros, et pour 2017 le montant approche les 8 milliards.

Or, la trésorerie de l’État est constante autour de 1 milliard d’après la publication de l’AFT.

Mais pourquoi, émettre des obligations à coupons élevés pour obtenir quelques milliards de trésorerie alors que les taux d’emprunt à court terme sont négatifs5 ?

D’autant plus qu’alors que les coupons futurs seront comptabilisés comme des charges, les surplus de trésorerie de seront pas considérés comme des recettes. Les charges augmentent, mais pas les recettes.

Les règles de la comptabilité de Maastricht, auraient pu donner une explication mais, le résultat n’est pas pertinent.

La charge d’indexation des OAT.

La charge d’indexation des OAT représente le poids de la hausse de l’indice des prix sur le nominal à rembourser à l’échéance des OATi et des OATi€.

Les OAT indexées venant à échéance pour les 3 années citées sont6:

En milliards d’Euros.

Année OAT Indexée Encours = Encours nominal * coefficient d’indexation Coefficient d’indexation Encours nominal
2017 OATi 1% 25/07/2017 18,7 1,13733 16,4
2018 OATi€ 0,25% 25/07/2018 9,8 1,06015 9,2
2019 OATi 1,30% 25/07/2019 12,8 1,09910 11,7

Donc, si on effectue la différence entre l’encours nominal et l’encours nous devrions retrouver la charge d’indexation des OAT publiée par l’AFT.

En milliards d’Euros.

Année OAT Indexée Encours – Encours nominal7 Pour rappel : Charge d’indexation publiée par l’AFT
2017 OATi 1%     25/07/2017 2,26 2,31
2018 OATi€ 0,25% 25/07/2018 0,55 3,35
2019 OATi 1,30% 25/07/2019 1,16 3,47

Les montants calculés et les montants publiés ne correspondant pas, nous avons alors rajouté la part du coupon provenant de la hausse du nominal due à l’indexation, c’est-à-dire la différence entre le coupon calculé avec le nominal indexé et le coupon calculé sur le nominal initial.

Les chiffres obtenus sont :

En milliards d’Euros.

Année OAT Indexée Encours – Encours nominal8 + différences des coupons Pour rappel : Charge d’indexation publiée par l’AFT
2017 OATi 1%     25/07/2017 2,63 2,31
2018 OATi€ 0,25% 25/07/2018 0,97 3,35
2019 OATi 1,30% 25/07/2019 1,62 3,47

Il est évident que les chiffres publiés par l’AFT ont été obtenus grâce à un autre mode de calcul. Mais lequel ?

En 2020, parviendra à échéance l’OATi€ 0,00% 25/05/2020. Sa charge d’indexation dépasse déjà les 5 milliards d’Euros. Selon le mode de calcul de l’AFT, ce montant est sous-estimé. La charge de la dette en sera-t-il par conséquent d’autant plus augmentée ?

Autre interrogation : le Projet de Loi de Finance 2019 mentionne que seulement 1,3 milliards d’Euros de charges indexées viendront à échéance (PLF 2019 P 131), ce qui ne correspond de nouveau pas aux 3,47 milliards publiés par l’AFT.

Les swaps de taux d’intérêt.

Il est inscrit sur les bulletins mensuels des adjudications de l’AFT que la durée moyenne des emprunts tient compte des encours des opérations d’échange de taux d’intérêt, donc d’IRS (Récapitulatif des opérations de l’AFT Août 2018). Entre 2005 et 2015, 32,4 milliards de swaps de taux d’intérêt ont été effectués9. Or, il est inscrit nulle part le montant des différentiels d’intérêt reçus ou payés par l’État.

Pourquoi mélanger la durée moyenne de la dette avec des instruments comme des IRS ? Ce sont deux instruments financiers très différents.

Nous pouvons supposer que le résultat des IRS a été/est dans la trésorerie.

A priori, ces opérations de swap étaient à long terme, donc certains sont encore en vie.

Un rapport de la cour des comptes de janvier 2012 (Cour des Comptes : la gestion de la dette de l’État par l’AFT) stipule que des IRS ont bien été mis en place. La réponse de François Baroin aux interrogations de la Cour des Comptes fut : « …lorsque les conditions de taux sont réunies, à la mise en place d’un programme de swaps, visant à diminuer en moyenne, sur longue période, la charge d’intérêt, toute chose étant égale par ailleurs, en contrepartie de l’acceptation d’une augmentation de la variabilité à court terme de cette charge ».

La dette de l’Etat étant à taux fixe, le sens des swaps qui aurait naturellement été effectué est : L’État « annule » son taux fixe en en recevant un autre, et paye un taux variable, transformant ainsi sa dette à taux fixe en taux variable. Compte tenu de la baisse des taux depuis 2008, les résultats sur les IRS devraient très positifs.

Conclusion.

Les chiffres publiés par l’AFT ne trouvent pas d’explications simples, quand ils sont publiés, et les méthodes de gestion de la dette budgétaire ne sont pas toujours optimales. Les chiffres dont nous parlons s’expriment en milliards d’Euros, la rigueur et la précision devraient donc être des qualités.

I.Klein

1 L’Etat n’émet plus d’obligations indexées sur le TEC10. Les BTAN et les BTANi ont aussi disparu.
2 En cas de déflation, l’investisseur reçoit 100% du nominal.
3 Hors OAT indexées.
4 Il a été considéré que l’émission a été faite à un coupon supérieur au taux du marché dés lors que le prix d’émission est supérieur ou égale à 105%.
5 Emprunter à un taux d’intérêt négatif, au lieu de payer un intérêt, l’entité reçoit un intérêt.
6 Source : Bulletin Mensuel AFT N°320 janvier 2017 – Bulletin Mensuel AFT N°332 janvier 2018 – Bulletin Mensuel AFT N°340 septembre 2018.
7 Les calculs ont été faits avec les chiffres entiers, non arrondis.
8 Les calculs ont été faits avec les chiffres entiers, non arrondis.
9 Source : Tous les récapitulatifs mensuels des émissions de l’AFT de 2005 à 2018.